FAIRE GROUPE

Dans Trust – Karaoké Panoramique, créé en 2017 au Théâtre de la Cité internationale, il était question de l’élite financière qui parcourt le monde et hante les mégapoles. Quel est le sujet de I Wish I Was – qui vient clore trois années de résidence ?

Maëlle Dequiedt : Dans I Wish I Was, nous suivons un groupe de musiciens amateurs qui traverse le Nord de la France pour donner un concert. Je voulais parler de la construction d’un groupe, de la communauté partielle et éphémère qu’il représente. Ces individus se rassemblent par la musique autour d’un désir partagé : celui d’inventer, à la marge, une part de leur vie. Nous avons travaillé autour de la question de l’amateurisme. Les comédiens ont appris à jouer des chansons avec leurs propres moyens, avec des instruments qui n’étaient pas forcément adaptés et dont ils ne savaient pas forcément jouer. Nous ne cachons pas les imperfections : le spectacle est aussi la somme de nos erreurs. Pour nous, cette question est politique.

Il y avait dans “Trust” une forte dimension musicale. Votre compagnie, La Phenomena, a pour habitude de nourrir ses spectacles de son expérience sur le territoire. Qu’en est-il pour I Wish I Was ?

Maëlle Dequiedt : Nous nous sommes nourris de nos résidences dans la Nièvre, dans le Nord, en région parisienne, de témoignages que nous avons récoltés, de laboratoires d’écoute que nous avons organisés. Concernant la musique, le principe de la “reprise” m’intéressait comme mode de réappropriation. Je voulais plus que des réarrangements : plutôt recomposer, recréer. C’est la raison pour laquelle j’ai travaillé avec un compositeur.

Sur quels outils (instruments, corps, voix…) vous appuyez-vous au plateau pour raconter une histoire ?

Maëlle Dequiedt : Nous nous sommes inspirés des rituels tels que le concert ou les répétitions. Il y a pour moi un enjeu à ce que la forme théâtrale ne se laisse pas dissoudre dans un message, qu’elle résiste et permette à chaque spectateur d’y trouver son propre chemin.

I Wish I Was pose la question de la réappropriation de la musique à travers la reprise de chansons populaires/commerciales d’époques et de genres différents. Jusqu’à quel point la musique permet-elle de s’identifier à un artiste ou à un groupe ?

Maëlle Dequiedt : La question du commercial touche toutes les contre-cultures. Ce sont des formes artistiques qui naissent à la marge, expriment des identités, portent des luttes et se retrouvent finalement menacées de récupération par la culture mainstream. I Wish I Was, c’est aussi la confrontation à ces rêves qu’on nous fabrique et qui ne sont pas les nôtres. Dans Dialectique de la pop, la philosophe Agnès Gayraud analyse le double visage de cette musique : commerciale mais émancipatrice, isolant les individus mais leur permettant de se choisir une famille, sa dimension reproductible et enregistrée la rend hégémonique tout en lui permettant d’être entendue et partagée partout dans le monde, elle entre dans notre intimité, fait irruption dans nos vies, crée et révèle des espaces intérieurs insoupçonnés… J’ignore si l’on peut dépasser ces contradictions mais c’est ici que commence le théâtre.

Propos recueillis par Aurélien Péroumal pour le Théâtre de la Cité Internationale, septembre 2020